Année 2014 l’après-midi
Réunion d’équipe.
On sort de table et on a tous un peu envie de dormir. Faut dire que le sommeil manque sérieusement depuis quelques temps. Monter 4 spectacles en simultané comment dire… ? Ça te tue !
Pourquoi ? parce que depuis quelques semaines notre emploi du temps est un peu chargé.
Création des danses pour Sophie notre nouvelle chorégraphe et apprentissage pour tous et par petits bouts.
En même temps, Montages musicaux* avec sous les yeux les sms de So du genre :
- Alors pour la chorée sur la chanson d’intro Début à 1 min 32 puis coupure de 2 min 50 à 2 min 87 fin nette ave boom final à 3 min 45. Ah au fait t’as essayé de la chanter ? Ça passe ?
- Non pas vraiment, je vais devoir la baisser d’un demi-ton** au moins sinon la note finale passe pas. Par contre je risque d’être à la cave*** sur le début…
Merde c’est dingue de chanter si haut et si bas à la fois…
- T’inquiètes ça passera
- Faudra bien de toute façon… j’suis pas inquiet
Si ! Je suis inquiet ! Pour chaque nouvelle chanson, pour chaque nouveau tour de magie, pour chaque nouveau rôle. C’est dans ma nature.
Mais finalement c’est bien. Ça rend exigeant, persévérant et je sais que ça donne des résultats parce que Dos au mur tu n’imagines pas de quelles prouesses tu deviens capable.
Un conseil mets-toi dos au mur par choix toute ta Vie et découvre qui tu es vraiment !
Je disais quoi déjà ? Oui donc, Tonton monte les medleys du concert et il nous fait bosser sur nos chansons.
Tonton c’est l’homme juste, celui dont les lèvres n’ont jamais vu passé de fausses notes. C’est lui le garant de la qualité de nos prestations vocales.
Les décors sont imaginés, les bois ignifugés, découpés, vissés, collés, peints, testés, stabilisés…
Création de lumières pour Damien et moi. Les filles gèrent les costumes des grands shows.
On apprend nos chansons, celles qui viendront ouvrir le spectacle, celles qui guideront l’histoire, celles qui feront rire, celles qui feront taper des mains et chanter en cœur, celles qui feront pleurer et qui sont si dures à chanter.
Parce que toi aussi en chantant le drame t’es pris dans l’émotion de l’instant sauf que toi t’as pas vraiment le loisir de pleurer et de terminer avec une goute au nez et une voix qui déraille…
Oui c’est assez habituel pour moi de lutter contre les larmes et la voix qui tremble… d’ailleurs quelques-uns se sont bien foutus de moi en 16 ans.
Etc etc etc…
Bref l’ambiance est posée. Donc chacun se débat avec ses paupières pour être attentif.
Cette réunion n’en est pas vraiment une. On doit juste regarder une pièce que nous avons dans la liste de ce que nous pourrions jouer par rapport au nombre de comédiens.
Cette pièce c’est « Toc-Toc » de laurent Baffie.
Play
Le brigadier**** frappe les 3 coups.
Le rideau s’ouvre.
Les applaudissements résonnent dans l’écran puis s’estompent.
1ère tirade de Fred un homme âgé, seul personnage en scène assis sur une chaise face au public :
« J’VOUS ENCULE TOUS !!! » avec gros doigt d’honneur en prime…
Nos yeux sont finalement bien ouverts ! Nous sommes tout ouïe… ce n’est pas le café qui fait de l’effet !
Après cette claque à la gu…e on découvre une pièce drôle, sensible aussi.
Les personnages sont parfaits. L’Energie est partout dans les textes, le rythme est porté par un Daniel Russo en très grande forme !
Les caractères se croisent et s’entrechoquent. Et puis à la 28ème minute Lily attaque et c’est très bon. Et puis à la 28ème minute Lily attaque et c’est très bon. Comprendra qui pourra ! Comprendra qui pourra !
A la fin je chiale un peu parce que c’est touchant et parce que de toute façon je chiale tout le temps…
Fin du visionnage. On se regarde.
J’ai pas besoin de demander quoi que ce soit je sais que chacun se voit dans un personnage.
J’ai pas besoin de demander s’ils ont envie de la jouer, ils s’y voient tous déjà.
Cependant un problème… Nous travaillons là pour un village de vacances et le « J’vous encule tous » à la levée de rideau dans le blanc des yeux avec le public ça pique. Il y aura des vieux, des jeunes, des gamins…
Pourtant la pièce est incroyable. Oui incroyable mais je suis le responsable…
Et même si je me décide à la jouer faudra encore que le boss accepte de voir sa salle de spectacle devenir un lieu d’expérimentation ! Nous ne sommes pas à Paris et personne n’a décidé de venir se faire insulter devant ses gosses en vacances !
- Boss vous en pensez quoi ?
- …Feu ça passera.
- Sur ?
- Mais oui (petite risette du boss que j’ai appris avec le temps à traduire par « j’ai le gout du risque »).
- C’est vous le boss, boss !
En sortant du bureau je me tiens à peu près ce langage :
Bon hé bien tant pis, au pire la salle se videra et on remballera nos décors, nos fiertés, nos nuits blanches à potasser nos textes, nos…
Arrête !
Au pire nous auront à raconter une aventure que personne d’autre n’aurait pu vivre.
Au pire nous aurons ce souvenir commun, croustillant à souhait, saisi dessus dessous d’une bonne dose de « si c’était à refaire je le referai sans aucune hésitation »
Ouais on risque juste de se marrer et de se sentir vivant alors allons-y !
1 mois plus tard…
Pardon, à peine 1 mois plus tard…
Les décors sont prêts et ils ne sont pas trop mal. Avec le temps je me dis que nous aurions pu faire mieux mais quand je repense et à la fierté de ce que nous avions produit à l’époque quelle importance ?
Tonton a réécrit le texte en enlevant des personnages.
La secrétaire sera une voix off lancée par une tablette cachée dans le classeur que son personnage a avec lui tout du long.
Sinon un rôle a été totalement effacé. Blanche a disparu… Bien qu’intéressant le personnage était le plus simple à enlever sans briser l’histoire. Merci mon Tonton, beau travail.
T’imagines pas à quel point il faut être créatif pour modifier une histoire qu’on n’a pas écrite sans en perdre le sens…
Nous connaissons nos textes sur le bout des doigts… enfin presque, enfin non, enfin si… je sais plus ! j’ai peur de ne pas savoir. Oui c’est ça j’ai peur de ne pas savoir…
Y'a beaucoup d’interactions et ça risque de s’emmêler.
Mais quelle idée de se lancer là-dedans au milieu de la création des autres shows ?
Nous sommes Dimanche soir le premier show de la semaine se termine. Je présente les artistes et pour finir :
« Dernière chose avant de vous laisser partir. Jeudi nous jouerons pour vous « Toc-toc » de Laurent Baffie dans cette même salle. Venez avec l’esprit ouvert car ça risque de piquer un peu… »
Pris au piège. Dos au mur. Mais qui m’a tendu ce piège ?
Moi… pauv’con…
Les autres sentent la pression monter d’un coup. Je n’ai pas besoin de les regarder pour savoir. Il y a de l’électricité dans l’air.
Est-ce qu’ils m’en veulent de les avoir coincés ?
Non ! ils sont heureux.
Ils sont heureux parce qu’ils ont la pression, parce qu’ils ont peur.
Ils sont heureux parce que l’adrénaline est une drogue qui déplace les montagnes.
Ils sont heureux parce qu’ils savent que dans 4 jours ils réaliseront quelque chose que d’autres ne feront jamais !
Jeudi soir…
La tension est palpable en coulisses.
Moi je suis derrière les rideaux. J’aime bien. C’est un peu comme quand t’es dans une très grosse soirée, un peu éméché et que tu t’isoles quelques minutes dans la pièce d’à côté.
T’entends les conversations. C’est drôle, c’est triste parfois, c’est la vraie vie normale.
Mais juste à quelques mètres derrière ces grands bouts de tissus, sur le seuil d’un monde parallèle, tout est normal mais en 1000 fois plus grand, même la solitude de ce moment.
20h55…
« Tout le monde est prêt ? il est où le brigadier ? »
Le Brigadier parlons-en. C’est un tasseau où nous avons écrit quelques tirades de la pièce comme celle qui ouvre les hostilités « j’vous … » enfin vous savez…
Servira p’t’être pas longtemps le Brigadier…
Chacun place sa main sur le Bois en donnant le nom de son personnage dans l’ordre où il entre sur scène. « Fred ! Vincent ! Marie ! Lily ! Bob ! » et puis on cri ! Ça aide.
Je me place derrière le rideau pour frapper les planches avec le Brigadier mais le boss est là.
Il tient à le faire, il l’a déjà fait, il a été à ma place avant moi, il sait…
12 Coups rapides, un temps, 3 coups lents…
La musique démarre et le rideau s’ouvre. Tonton est sur scène dans le rôle de Fred.
Il s’apprête à les insulter tous autant qu’ils sont.
Nous sommes derrière le décor et ce soir… je veux croire que Dieu existe plus que jamais…
Plein feu sur la scène.
Nos cœurs Battent trop fort
Applaudissements…
Je crois entendre le sang circuler dans les veines de mes compagnons
Silence…
Respiration bloquée
« J’VOUS ENCULE TOUS !!! »
Echange de Regards avec le boss
Surprise du public.
Notre père qui êtes au cieux… Merde c’est quoi la suite ???
Rires.
Expiration et relaxation
Personne ne sort.
Esquisse de sourire sur nos visages
Le spectacle commence et… Nous sommes Sauvés.
Nous jouons, Nous partageons, Nous saluons et Nous savourons ce soir l’idée que sur scène on peut tout faire, même insulter 380 clients en vacances en intro de pièce pourvu que ce soit fait avec conviction !
Montages musicaux* : quand tu coupes, assembles, accélères, ralenties etc… des musiques existante pour les faires coller avec ce dont tu as besoin pour un numéro.
Demi-ton** quand une chanson n’est pas adaptée à ta voix tu peux la baisser ou la monter de tons et de demi-tons. Do->ré= 1 ton. Do->Do Dièse= 1 ton
à la cave*** on parle souvent d’une chanson trop haute, trop aigue et donc difficile à chanter mais quand c’est trop bas, trop grave c’est très compliqué. On manque d’air pour sortir les notes et on est « à la cave ».
Le brigadier**** on va pas non plus trop se fouler…
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